G.H.C. Numéro 35 : Février 1992 Page 509
Lettre de l'esclave ANGELIQUE à Madame veuve PRONZAT
Marcel Chatillon
Cette esclave demande la liberté pour son fils Numa.
Elle-même, après un séjour en France, retournée à la
Martinique, a été vendue à une mulâtresse.
Cette lettre, extrêmement émouvante, a-t-elle été
rédigée par l'esclave ou, comme le laisserait supposer un
style recherché, par un abolitionniste (blanc ou mulâtre)
de la Martinique ? Elle n'en constitue pas moins un
extraordinaire témoignage. En tous cas, elle est authen-
tique et a bien été envoyée.
Adresse : à Madame veuve PRONZAT
à Rennes
Cachet Martinique
Cachet Nantes, 29 août 1831
Depuis l'instant où je vous ai quittée je n'ai pas
encore eu de vos nouvelles. Je m'en informe toujours mais
c'est vainement. Je prends le parti de vous écrire cette
petite lettre pour vous donner connaissance de ma position
et de celle de mon pauvre Numa. Hélas, que vous
apprendrais-je ? Des choses sans doute pour vous faire
peine, si vos sentiments ne sont pas changés à mon égard.
Apprenez donc, chère et bonne maîtresse, que je regret-
terai toujours d'avoir quittée, que, depuis mon arrivée a
la Martinique, j'ai été de suite mise à loyer à quatre
gourdes par mois, et après quelque temps vendue par vos
ordres, chose que j'ai eu peine à croire. Mon pauvre
enfant donne 6 gourdes, mais il n'a pas été vendu. Jugez,
sur mes vieux jours, être assujettie à une maîtresse
étrangère, mais je suis résignée à mon sort. C'est pour
mon pauvre enfant que je réclame vos bontés et que je vous
écris cette lettre sans savoir si elle vous parviendra, ne
connaissant pas directement votre adresse, mais le désir
que j'ai de vous faire connaître ma position affreuse me
détermine à envoyer ma lettre à tout hasard. Veuillez, ma
bonne et chère maîtresse, avoir égard à la demande de
votre pauvre et malheureuse Angélique, pas pour moi, je
vous le répète, mais pour mon pauvre enfant, afin de
mourir tranquille. Je suis dejà vieille et le secours de
la religion qui est mon soutien me donnera le courage pour
supporter mon sort d'esclavage avec résignation jusqu'à la
fin, mais n'oubliez pas ma supplication pour Numa. J'ai
écrit à Monsieur VINCENDON pour la même cause, je n'ai pas
de nouvelles. Je n'ai pas oublié Mademoiselle Isoline. Je
l'engage aussi à supplier pour sa vieille bonne qui l'a
tant aimée et qui l'aime toujours. Ah! que je regrette de
l'avoir quittée, mais c'est pour mon enfant qui en est la
cause. Lui et moi se trouvent victimes, mais je pense que
ma prière sera écoutée. Ma chère petite maîtresse (temps
heureux pour moi où je pouvais l'appeler de même) voudra
bien s'intéresser à mon sort.
Je souhaite que vous soyez tous jouissant d'une bonne
santé. Rendez-moi reponse, je vous en supplie, c'est à vos
genoux que je le demande. On a donné des libertés. Si mon
pauvre enfant avait été du nombre, je n'aurais qu'à
attendre la mort sans impatience et avec résignation. J'ai
le bonheur de prier pour vous les jours de ma communion
qui sont très rares, n'ayant pas la facilité de la faire.
Je verse bien souvent des larmes de peine et de souvenirs.
Je suis maigre et n'ai que des chagrins pour tout bien.
J'ai été vendue a Madame JACQUIN la griffe.
Adieu ma bonne maîtresse et ma chère Isoline. Pensez
à votre bonne et infortunée
ANGELIQUE
Donnez moi des nouvelles de ma vieille maîtresse.
NDLR
La généalogie ci-dessus permet d'identifier la desti-
nataire la lettre. Il s'agit sans aucun doute de Louise
Elisabeth (dite Soline) ANQUETIL de BRIANCOURT, créole de
la Martinique, veuve de Louis Justin Côme PRONZAT de
LANGLADE, qui était mort à Rennes en 1824. Elle-même a
vécu jusqu'en 1853 et le couple avait quitté la Martinique
pour la France vers 1815/1816.
Isoline est très probablement leur fille aînée, Marie
Antoinette Louise, née au Mouillage en 1812 et qui n'avait
donc que trois ou quatre ans quand elle quitta la Marti-
nique. Ses parents ont donc emmené en France sa bonne
Angélique qui l'a vue grandir. Au moment de la rédaction
de la lettre, "Mademoiselle Isoline" avait donc 19 ans.
"Ma vieille maîtresse" doit être la mère de Madame
veuve PRONZAT, Marie Jeanne Elisabeth DATHY, veuve
ANQUETIL de BRIANCOURT depuis 1819/1820 et qui mourut en
Martinique en 1847, à 78 ans. Peut-être avait-elle rejoint
sa fille en France après son veuvage, pour revenir ensuite
en Martinique. Nous verrons la famille ANQUETIL de
BRIANCOURT dans un prochain numéro.
Enfin, "Monsieur VINCENDON" est bien de la famille
PRONZAT de LANGLADE, comme en fait foi la Liquidation de
l'Indemnité de St-Domingue en 1831.
Nous avons recherché en vain les affranchissements
d'Angélique et de Numa dans l'état civil de Saint-Pierre,
de même que le passage de la famille PRONZAT de Martinique
en Métropole (COL F/5b).
NOUS AVONS RECU
d'Emmanuel Boëlle :
Une affaire difficile
le cas du jeune HERNANDEZ dit Pancho
transcription par Emmanuel Boëlle
(voir GHC pages 52 à 54, 295, 416)
Echange de lettres en français et en anglais, de 1810 à
1813, à propos du jeune cubain Francisco HERNANDEZ, de la
famille de Serafina ALOY, épouse de Salabert CHAUVITEAU.
Le jeune homme, élevé à Bordeaux puis à New York, donne
beaucoup de soucis (on ne précise pas lesquels) à ses
éducateurs et responsables, pour finalement embrasser la
carrière militaire.