G.H.C. Numéro 34 : Janvier 1992 Page 487
REFLEXIONS SUR LA TOPONYMIE DE LA GUADELOUPE (suite)
L'évolution onomastique en relation avec l'organi-
sation administrative du quartier du Grand Cul de Sac
Marin caractérise bien cet aspect des choses, avec sa
relative complexité.
Ce quartier resta longtemps peu peuplé à cause de son
éloignement du chef-lieu qui fit négliger sa défense et le
rendait vulnérable aux attaques anglaises venues des îles
voisines. Pourtant, au début du XVIII° siècle, il se
scinda en deux. La partie du sud prit le nom de quartier
du Gros Morne et de la Pointe Noire, la première partie
désignant le relief qui protège et qui signale l'entrée de
l'actuelle rade de Deshaies, et la seconde partie, le cap
qui s'avance et qui signale le quartier de Pointe Noire.
une vision très maritime. Mais, dès la fin du XVII°
siècle, on semblait hésiter sur le nom qui devait désigner
cette partie de la Guadeloupe, entre "le Caillou", du nom
de la rivière qui traverse le bourg (si mon hypothèse
concernant l'orignie caraïbe du nom était confirmée, cela
voudrait dire que l'on privilégiait l'usage), ou la Pointe
Noire. Toutefois, à partir de 1710, c'est la perception
terrienne qui prévalait pour les autorités qui le
désignaient comme "quartier des Plaines de Pointe Noire",
du fait que la partie fertile sur laquelle s'étaient
construites des sucreries était constituée de la Petite
Plaine et de la Grande Plaine, deux vallées voisines.
Mais, très rapidement, on revint au quartier Caillou ou
Pointe Noire, nom qui s'imposa définitivement à la fin de
l'Ancien Régime.
Souvent, les habitudes furent plus tenaces que la
volonté des administrateurs. C'est le cas pour Deshaies.
Nous avons vu que les marins connaissaient la rade sous le
nom de Gros Morne. La paroisse fut créée le 1er avril 1730
par la volonté du gouverneur et à la demande des habitants
qui estimaient pouvoir constituer un groupe suffisamment
fort pour défendre la quartier. Les terres sur lesquelles
se construisit le bourg appartenaient à la famille de LA
POTERIE qui aurait bien voulu que la nouvelle paroisse
portât son nom. or, c'est le nom du premier habitant qui
s'imposa et, déjà en 1671, cet endroit s'appelait
Deshayes, alors même que les membres de cette famille
n'étaient plus là. La vision maritime était dépassée en
1730 et le Gros Morne céda sa place au nom de la portion
de terre sur laquelle se construisit le bourg.
C'est aussi à la vision maritime que nous devons les
noms de Trois Rivières, qui désignait dès l'origine la
quartier carctérisé par ces trois cours d'eau très proches
les uns des autres quand on regardait la côte depuis un
navire. Morne à l'Eau, Anse Bertrand, le Lamentin
procèdent également de cette même démarche. Plus anecdo-
tique, le Gosier rappelle le nom par lequel on désignait
les pélicans, "grands gosiers", qui étaient très nombreux
sur l'îlet du Gosier.
De cette première période nous sont parvenus des noms
qui procèdent d'une autre démarche. C'est le cas de Vieux
Habitants. L'origine du nom, comme se plaisent à le dire
les Habisois, vient-elle du fait que ce quartier fut le
premier à être habité, ce qui n'est pas tout à fait exact,
Vieux Fort pouvant à juste titre prétendre à cette ancien-
neté ? Ou bien "Vieux" doit-il être pris dans un sens
péjoratif comme on le fait souvent aux Antilles ? Dans ce
cas, on rejoint le R.P. Labat qui écrivait : "Le fonds des
Habitants a été ainsi appelé parce que, du temps de la
première compagnie qui peupla l'isle, tous ceux qui
avaient achevé les trois ans de service qu'ils devaient à
la compagnie, se retiraient dans cet endroit pour n'être
plus confondus avec les serviteurs et engagés de la
compagnie, et s'appelaient les habitants." (Labat "Nouveau
voyage aux isles de l'Amérique", 1724, La Haye, I 377). Ce
terme d'habitant désignant aux Antilles françaises un
propriétaire d'habitation, la plume moqueuse du dominicain
voulait dire qu'ils se prenaient pour ce qu'ils n'étaient
pas et donc qu'ils étaient des habitants de seconde zone.
C'est dans ce quartier également que l'on trouve une
section appelée Tarare, proche de Bel-Air. Le premier nom
désigne aussi une ville située au nord de Lyon. Celle-ci
est construite au fond d'une vallée entourée de collines.
Sur la plus haute, appelée Belair, se trouve une chapelle
vers laquelle on se rend en pélerinage pendant la Semaine
sainte, en suivant un chemin de croix, depuis des temps
immémoriaux. C'est donc un lieu repère. La coïncidence
entre la Métropole et les Antilles est trop forte pour
être fortuite. Or, les premiers occupants des lieux
s'appelaient DUMOULIN ou DESMOULINS, patronyme qui existe
encore à Tarare dans le Rhône. Comme les DUMOULIN qui
s'installèrent aux Antilles dans les années 1640 étaient
protestants, on peut penser qu'ils quittèrent leur région
d'origine avec regrets et voulurent s'en souvenir en
baptisant leurs terres des noms qui leur étaient
familiers. On peut signaler aussi que l'une des deux
paroisses de Tarare en Métropole porte le nom de
Madeleine, comme la section nord de Baillif.
On retrouve souvent associés les deux noms de
Dumoulin et Bel-Air, comme à Bouillante pour deux mornes
voisins dans la section de Malendure, le premier en
souvenir d'un propriétaire de la fin de l'Ancien Régime,
et, en Grande-Terre, au XVII° siècle, on trouve associés
Belair, Dumoulin, Tarare, à Sainte-Anne ou Saint-François.
Si les habitudes furent souvent plus fortes pour
conserver les noms primitifs, quelquefois le glissement
d'une vision maritime à une vision terrienne se fit insen-
siblement. C'est le cas pour Bouillante. Le quartier
devint au début du XVIII° siècle Fontaines Bouillantes,
nom que nous trouvons indiqué sur la carte du R.P.
DUTERTRE dans son édition de 1671, mais il ne désignait
qu'un lieu particulier que nous appelons maintenant
Fontaines Chaudes. Pour les R.P. DUTERTRE, LABAT et
autres, les sources chaudes n'étaient qu'une curiosité
naturelle mais celle-ci finit par caractériser tout le
quartier et, pour la commodité, vers la fin de l'Ancien
Régime, Fontaines Bouillantes devint tout simplement
Bouillante, Ilet à Goyaves ne désignant plus que l'îlet
qui est de plus en plus souvent appelé Ilet à Pigeon, par
rapprochement avec la section du même nom qui doit classi-
quement son nom à l'un des premiers habitants, Antoine
PIGEON.
Un grand nombre de communes portent le nom d'un saint
ou d'une sainte. Elles sont souvent de création assez
tardive, au moment où l'Eglise catholique était toute-