G.H.C. Numéro 29 : Juillet-Août 1991 Page 364

JEAN-BAPTISTE TIRANT de LA FORGE ET SA DESCENDANCE

lèse-Majesté.  J'ajoutai  que  ceux qui  les  commandaient
n'avaient aucun ordre du sieur HOUEL et que,  si l'affaire
était bonne, il paraîtrait lui-même."

  Du TERTRE en fait tant que les séditieux ont le temps de
prévenir HOUEL qu'il détournait "son monde et que personne
ne voulait plus suivre. LA FORGE, lieutenant, vint de chez
lui  et,  m'ayant  trouvé  dans la case d'un  habitant  où
j'étais avec plusieurs autres, il me demanda, en jurant le
Saint  nom de Dieu,  si je n'avais pas vu un homme qui  me
cherchait pour me donner un coup de pistolet dans la tête;
voyant  néanmoins  tant  de monde auprès  de  moi,  il  se
contenta  de me pousser assez rudement la poignée  de  son
pistolet  contre  la  joue,  et,  prononçant  une  vilaine
injure,  il  me dit en furie "viens dire dehors ce que  tu
dis ici"; je lui répondis que je le ferais très volontiers
et  que je le suivrais partout sans aucune crainte.  Etant
entré chez le sieur du Mé,  où étaient les autres chefs de
la  sédition  et  environ 100 ou  120  habitants,  je  l'y
suivis;  du Mé, qui était assis dans une chaise, environné
des autres sur des barils et sur des bancs,  devint  blême
en  me  voyant,  et,  blasphémant le nom de Dieu,  me  dit
"Père, allez dire votre bréviaire". Je lui répondis que je
m'étais  acquitté de ce devoir dès le matin et  que  toute
mon  occupation présente était d'avoir soin de lui et  des
autres  habitants,  qui étaient mes ouailles,  et dont  je
devais répondre à Dieu qui me les avait confiées."
  Du  TERTRE demande au nom des habitants,  à voir l'ordre
qu'il avait de leur faire prendre les armes et,  du Mé lui
ayant dit en blasphémant de se mêler de ses  affaires,  il
lui répond "le soin de mon troupeau est mon affaire".
 Du PONT se jette alors sur lui, déchire ses vêtements, le
pousse  dehors dans un bourbier.  Tant de violences contre
leur curé fait réfléchir les habitants.  Du TERTRE rejoint
les habitants rassemblés chez le sieur DORANGE et se met à
leur tête pour, une nouvelle fois, demander à voir l'ordre
écrit.  Le temps passant,  et les rivières étant débordées
dans  toute l'île,  "M.  le Général" (THOISY) a  le  temps
d'écrire  à HOUEL pour demander des explications sur  "ces
troubles et alarmes"
     (THOISY finira par quitter l'île, le 1° janvier 1647,
mais pas par la force)

     Nous avons longuement cité ces épisodes, car ils sont
représentatifs  de  la  lutte  pour le pouvoir  et  de  la
violence  de l'époque.  Par ailleurs,  on  peut  remarquer
l'étonnante   "modernité"   de  l'imbrication   entre   le
"spirituel"  et  le  "temporel"  dans la  réaction  de  Du
TERTRE et des habitants.
     En ce qui concerne LA FORGE,  il apparaît en ces deux
occasions  comme un fidèle de Charles  HOUEL,  chargé  des
"basses besognes" !
     La dernière fois que Du Tertre le cite, c'est en août
1666,  après  la  victoire du gouverneur du LION  sur  les
Anglais aux Saintes :  "Monsieur du LION fit raser le fort
d'en-haut  et laissa dans celui d'en-bas le sieur LA FORGE
avec six-vingt (= 120) hommes sous sa conduite."
     Avec le temps (vingt ans se sont écoulés),  "le nommé
LA FORGE, lieutenant" est devenu "le sieur LA FORGE" !

                           ***

     Jean  TIRANT de LA FORGE apparaît aussi  comme  enga-
giste  dans les minutes de notaires de Dieppe (9 11  1660)
et de La Rochelle (M° Cherbonnier le 7 11 1662)
     En  ce qui concerne ses habitations,  on voit dans la
liste  de  l'Espérance  de 1664 qu'il doit  31  livres  de
pétun,  ce qui n'est pas énorme.  Mais,  dans la liste des
sucriers de 1669,  il est indiqué que M. de LA FORGE, à la
Capesterre, peut faire 40.000 livres de sucre par an.

                           ***

     Le  registre  paroissial de  Capesterre  commence  en
1639.  C'est le plus ancien des Antilles françaises.  Mais
il ne s'agit que de baptêmes (les tout premiers étant ceux
des  enfants  du  sieur DORANGE,  à St Christophe  puis  à
Capesterre).  Le  premier mariage n'est que de 1672 et  la
première  inhumation  de 1673.  Nous ne pouvons  donc  pas
savoir  si  Jean-Baptiste TIRANT sieur de LA  FORGE  s'est
marié à Capesterre où ailleurs et nous ne connaissons donc
pas son origine ni celle de sa femme.  Il n'est pas impos-
sible  que  le mariage ait eu lieu ailleurs  car  nous  ne
retrouvons pas non plus le baptême du fils aîné,  Charles.
Remarquons au passage ce prénom :  le parrain ne serait-il
pas  Charles HOUEL ?  C'est d'autant plus probable que  le
parrain  du deuxième fils est Robert HOUEL,  le chevalier,
frère de Charles !  Cela correspond bien au rôle joué  par
LA FORGE au service de HOUEL.

     Au recensement de 1664, les femmes ne sont pas citées
pour le quartier de la Capesterre.  C'est un recensement à
but  "fiscal"  et  les femmes ne payaient pas  de  droits;
celui qui a recensé le quartier a donc cru bon de  réduire
son  travail ...  et n'a pas pensé aux généalogistes !  On
trouve :
          Le sr Jean TIRANT dit LA FORGE, 45 ans
          Hanry TIRAND, 30 ans
          Charlles TIRAND, 18 ans
          Jean TIRAND, 3 ans
          9 serviteurs blancs et 36 nègres.

Jean  TIRANT est donc un riche habitant.  Hanry est  peut-
être un jeune frère, mais nous n'en trouvons pas trace par
la suite.
     Au recensement de 1671, on ne donne que le nombre des
enfants.  Le  nom  n'est  donné que  parfois,  en  général
lorsqu'ils sont adultes. Toujours au quartier de la Capes-
terre, on a :
          M. de LAFORGE
          Charles TIRANT
          Jean TIRANT
          3 filles
          10 nègres, 13 négresses, 9 négrillons
          3 fusils, 5 mousquetons, 2 pistolets
          2 chevaux, 5 boeufs, 2 vaches, 2 veaux

     Nous  ignorons  l'origine du nom de LA FORGE  :  Jean
Baptiste  TIRANT  de  LA  FORGE  serait-il  originaire  de
Forges-les-Eaux en Seine-Maritime ?
     S'il eut surtout des filles et si le nom disparut  en
Guadeloupe dès la troisième génération,  en revanche,  par
ses filles et ses deux petites-filles, il est l'ancêtre de
presque toutes,  sinon toutes, les familles importantes de
la Guadeloupe. La généalogie ci-après, établie d'après les
recensements et les registres paroissiaux,  en fait foi  :
les  filles TIRANT sont mariées aux SERGENT,  LEMERCIER de
BEAUSOLEIL,  CLASSE VAN SCHALKWYCK,  BRAGELONGNE,  DUBOIS,
BABIN,  etc.  dont elles ont en général une très nombreuse
postérité.  On peut remarquer par ailleurs le  déplacement




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Révision 26/08/2003