G.H.C. Numéro 26 : Avril 1991 Page 307

DEPUTE A LA CONSTITUANTE
GOUY D'ARSY EST GUILLOTINE

Pierre Bardin

     Le  5 thermidor an 2,  par un doux après-midi  d'été,
deux charrettes escortées de gendarmes, sabre au clair, se
dirigent  en  cahotant à travers les rues aux  pavés  dis-
joints  du  faubourg  Saint-Antoine,  passant  devant  les
restes de la Bastille,  vers la "barrière du trône renver-
sé", aujourd'hui place des Antilles et de la Nation, où se
dresse la guillotine, pompeusement nommée "le glaive de la
Loi"  ou,  vulgairement,  "le rasoir national".  Dans  ces
charrettes,  46 hommes (un ex-prince,  deux ex-prêtres, un
marin de 17 ans, un marchand de fer, un colonel, un coute-
lier,  etc. etc.) "convaincus de s'être déclarés les enne-
mis  du peuple".  Quelles sont leurs pensées,  alors  que,
tant  bien que mal,  ils tentent de tenir leur  équilibre,
les cheveux coupés ras,  le col échancré,  les mains liées
derrière  le  dos  ?  Le public des faubourgs  est  plutôt
indifférent,  habitué  à  voir passer tous les  jours  ces
sinistres   véhicules  transportant  leur  contingent   de
condamnés; peu se hasarderaient à avoir un geste de commi-
sération  qui pourrait leur faire prendre le même  chemin.
Quelques  quolibets fusent parfois,  lorsqu'un  personnage
autrefois puissant est reconnu. C'est le cas pour l'un des
condamnés.
    Ayant  eu  le Dauphin pour parrain,  il  a  vécu  dans
l'entourage de la famille royale.  Il se nomme Louis Henry
Marthe  de  GOUY marquis d'ARSY.  De par son mariage  avec
Anne  Amable HUE de BAYEUX,  il est propriétaire de  biens
considérables à St Domingue,  où il ne résida jamais, mais
dont il fut l'un des députés à la Constituante et non  des
moindres, car lui et six autres représentants de la "reine
des  Antilles"  prêtèrent  le Serment du Jeu de  Paume  et
signèrent le procès verbal du 20 juin 1789.  GOUY d'ARSY y
prendra  la parole pour dire "La colonie était bien  jeune
lorsqu'elle s'est donnée à Louis  XIV,  aujourd'hui,  plus
riche et plus brillante,  elle se donne à la Nation". A la
Constituante,  il  interviendra  plus de  cinquante  fois,
dénonçant le ministre de la Marine,  LA LUZERNE, injuriant
BRISSOT,  contrant LAMETH, CURT, défendant les intérêts de
ses "commettants". Les Archives parlementaires ou le Moni-
teur en apportent la preuve.
     Depuis  les  terribles  lois de prairial  an  2,  les
prisons regorgent de prisonniers,  environ 8.000. Ceux qui
y sont enfermés sont suspects,  donc coupables, leur juge-
ment  ne doit point être différé.  Quel doit  être  l'acte
d'accusation  ?  Le  prétexte sera tout trouvé  :  complot
contre la représentation nationale. On reste sidéré devant
l'énormité de cette accusation. A-t-on déjà vu, dans aucun
pays, un complot monté dans des prisons, si faire se peut,
réussir à renverser les institutions d'un Etat ?  Il  faut
bien reconnaître que l'Histoire, de ce temps jusqu'à nous,
montrera  que  de tels procédés furent utilisés de par  le
monde pour justifier,  ou tenter de le faire,  le massacre
de millions d'hommes.
     On commença à juger les prisonniers détenus au Luxem-
bourg, puis à Bicêtre, et, le 2 thermidor an 2 (20 juillet
1794), un arrêté signé SAINT JUST, CARNOT, PRIEUR, BILLAUD
VARENNES,  ordonne de traduire au Tribunal révolutionnaire
49 détenus de la prison des Carmes. "On dit que des tenta-
tives  d'évasion y auraient eu lieu,  qu'on aurait  trouvé
une  corde sous le lit du comte de CHAMPAGNET;  on  aurait
découvert les emblèmes de la royauté gravés sur un  poêle,
que le chef de la Conspiration, VIROLLE (chirurgien) s'est
suicidé;  il  paraît qu'ils avaient des intelligences avec
ceux des autres maisons d'arrêt" etc.  Ramassis de rumeurs
invérifiables,  de fausses preuves et de ragots. Le Tribu-
nal  révolutionnaire n'est plus l'organe de  justice  créé
quand "la Patrie était en danger" pour juger des individus
coupables ou non,  mais l'instrument de la Terreur où ceux
qui  paraissent  s'entendent signifier leur  condamnation,
sans  aucun recours possible au tribunal de cassation  par
l'article deux du décret de la Convention du 5 avril 1793.
C'est  ce qu'Antoine Quantin FOUQUIER,  accusateur  public
près le Tribunal révolutionnaire,  rappelle aux 49 accusés
qui  sont  devant lui lorsque s'ouvre leur  procès,  le  5
thermidor  an 2,  à 10 h du matin,  avec COFFINHAL,  vice-
président,  entouré de HARNY,  LAPORTE et  LORHIER,  juges
(signalons  qu'avec  ces méthodes FOUQUIER enverra  en  45
jours 1.285 personnes à l'échafaud).
     N°  12 sur la liste des accusés "Louis Marth de  GOUY
d'ARCY,  âgé  de  41 ans,  né à Paris,  demeurant à  Arcy,
département de l'Oise (1),  ex noble,  ex constituant,  ex
maréchal de camp,  auteur des désastres des colonies qu'il
a  voulu livrer au despote anglais,  et qui est dévoué  au
despotisme  et à la tirannie,  a servi tous  les  projets,
tous  les  complots  de CAPET dont il se disait  le  sujet
contre le peuple français,  les autres conjurés sont  pour
la plupart connus pour s'être toujours montrés les ennemis
du peuple" (...)
     "Il  est  désigné comme un des chefs de la  Conspira-
tion,  prévenu  de s'être vendu aux ennemis du  peuple  en
conspirant dans les maisons d'arrêt contre le gouvernement
révolutionnaire  et  en formant le projet de s'évader  des
prisons  pour anéantir et dissoudre par  l'assassinat  les




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