G.H.C. Bulletin 18 : Juillet-Août 1990 Page 161
UN AMOUR DE VICTOR HUGUES :
MADAME DE LACROIX
B. et Ph. Rossignol
Cette étude vient de la confrontation entre diverses
sources : l'"Histoire de la Guadeloupe" de LACOUR (1857),
"Le conventionnel Victor HUGUES" par Sainte-Croix de LA
RONCIèRE (1932), les "Notes de famille" de Camille de
LACROIX (1912) (1) et l'état civil (Pointe-à-Pitre).
C'est LACOUR qui est le plus discret sur le sujet.
Evoquant la richesse de Victor HUGUES, il écrit : "Pour
parler de sa fortune, il faut dire quelque chose de son
mariage. La dame LACROIX, dont il avait fait sa maîtresse
à la manière du temps, par force, étant morte, il songea à
se marier. Il jeta ses vues sur la citoyenne Angélique
JACQUIN, créole de la Martinique. L'acte de mariage fut
dressé le 16 mars 1796." (tome II, page 413).
En revanche, Sainte-Croix de LA RONCIèRE est prolixe
et consacre à Madame de LACROIX tout le début du chapitre
"Victor HUGHES amoureux" (pages 274 à 280). Il nous racon-
te comment il la poursuivit de ses assiduités, en vain car
"vertueuse, elle ne pouvait répondre à ses avances".
"Mais Victor HUGHES était attisé par le désir. Il voulait
la posséder coûte que coûte." Il fait donc arrêter sa
meilleure amie; Madame de LACROIX "n'hésite pas à demander
audience (...) et à user de ses charmes pour sauver son
amie (...). Le fauve tient sa proie. Il l'écoute en silen-
ce puis brusquement l'enlève, la jette dans son lit et
(...) la possède de force. Puis, brutalement, sans honte,
il lui dit : Madame, votre amie a la vie sauve."
"Un an plus tard, le 16 mars 1797, à Basse-Terre, il
épousait en justes noces Louise JACQUIN, la fille d'un
avocat au Parlement née à Saint-Pierre de la Martinique."
Remarquons au passage que l'auteur a des difficultés
avec les années révolutionnaires : c'est bien "le vingt-
sixième jour du mois de ventôse, quatrième année républi-
caine" que se maria V. HUGUES, c'est-à-dire en 1796, comme
l'écrit LACOUR.
Sainte-Croix de LA RONCIèRE se laisse emporter par
son imagination et une idée fausse, mais très répandue, de
la particule, en faisant de Madame de LACROIX "une grande
dame", "de bonne noblesse". Camille de LACROIX nous ren-
seigne sur son grand-père : François Aimé Grégoire de
LACROIX, natif de Bagnères-de-Bigorre, était fils de Char-
les, avocat au parlement, et de Pierrine DUFAU. Il "quitta
la France en 1780, à l'âge de 17 ans, embarqué comme
pilotin sur un navire de commerce se rendant aux Etats-
Unis." "Il navigua vingt ans, commandant son navire durant
les six dernières années." A son décès en 1836 "il était
veuf en premières noces de dame Marie Henriette Eléonore
CADIOT et en secondes noces de Renée VAUCROSSON." (2)
Camille de LACROIX précise : "La première femme de
mon grand-père, Marie CADIOT, était de la Guadeloupe et y
est morte tragiquement. C'est du moins ce que je tiens de
ma mère. Elle était, paraît-il, fort belle et mariée de
puis peu de temps, lorsque Victor HUGUES, le sanguinaire
proconsul, qui tenait l'île sous la terreur, la vit et
réclama ses faveurs. Mon grand-père était en mer; elle eut
peur et se donna; mais ne put survivre à son déshonneur et
se tua, laissant pour son mari une lettre où elle l'assu-
rait de son amour, de son dégoût d'elle-même et réclamait
son pardon. Celui-ci revint et voulut se venger. Victor
HUGUES mit sa tête à prix. Que pouvait un pauvre capitaine
au long cours, obligé à toujours naviguer, contre un homme
tout-puissant? La lutte était trop inégale pour durer. Mon
grand-père s'éloigna."
Le petit-fils ignore "la date exacte de ces événe-
ments" et situe le mariage entre 1794 et 1798. En fait,
nous l'avons retrouvé dans le registre de Pointe-à-Pitre,
le 15 avril 1793. Il montre que l'épouse n'était pas plus
de la noblesse que l'époux, contrairement à l'affirmation
de Sainte-Croix de LA RONCIèRE : François Aimé Grégoire de
LA CROIX, capitaine de navire, natif de Bagnères en Bigor-
re, fils majeur de feu Charles de LA CROIX, avocat, et
Perrine Aimée DUFAU, épouse Marie Henriette Héléonore
(sic) CADIOT (elle signe Marie Cadiot), demeurant en cette
ville, native de la paroisse Saint Jean-Baptiste du Moule,
fille de Jean, négociant en cette ville, et dame Margue-
rite ARSONNEAU. Les témoins sont Dominique CARRèRE, habi-
tant de cette paroisse, Jean MERLET, capitaine de navire,
Pierre LéVêQUE BEAUMARD, négociant en cette ville et André
COURTOIS, maire et négociant à Pointe-à-Pitre. En
recherchant la naissance de Marie CADIOT au Moule, on
s'aperçoit qu'elle n'avait alors que quatorze ans!
Jean CADIOT était donc un négociant de Pointe-à-
Pitre. Originaire de Ronsenac en Angoûmois, fils de Pierre
CADIOT de COUREAUX, juge assesseur du duché pairie de la
Valette et de demoiselle CARREREIRE, il avait épousé au
Moule le 27 septembre 1767 Marguerite ARSONNEAU, veuve de
Noël THOMAZEAU, née au Moule en 1742, fille de Louis
ARSONNEAU et Marie Agnès RENAUD qui étaient passés de
Saint-François de Grande-Terre au Moule. Nous nous trou-
vons là au début des registres conservés de Grande-Terre
et connaissons seulement le nom des parents de Louis
(Gervais, ou Hervé, ARSONNEAU et Anne LANGLOIS) mais pas
avec certitude ceux de Marie Agnès RENAUD, et de toutes
façons nous ignorons leur origine métropolitaine à tous.
Marie CADIOT avait un seul frère, l'aîné des enfants,
et plusieurs soeurs. Deux d'entre elles avaient déjà épou-
sé des capitaines de navire : Marie Ursule Gabrielle, en
1789, Jean Joseph MERLET, originaire de Libourne (un des
témoins du mariage de 1793) et Marie Thérèse, en 1790,
Pierre CASTETS, de Lugon en Guyenne. Après elle, Jeanne
épousera, toujours à Pointe-à-Pitre, Mathurin CONSTANT, le
10 février 1794. On relève à ce mariage la signature
"Cadiot Lacroix" mais pas celle de François de LACROIX,
probablement en mer.
Le 10 brumaire III (31 octobre 1794), les citoyens
Constant DUFIEUX, 40 ans, et André COURTOIS, 39 ans (autre
témoin au mariage de 1793) viennent déclarer à la mairie
de Pointe-à-Pitre que "la citoyenne Marie Henriette Eléo-
nore CADIOT, demeurant en cette cité, ci-devant épouse de
LACROIX et ayant fait prononcer le divorce avec lui à
cause de son émigration, est décédée ce jour à 2 heures
après midi en la maison de la citoyenne CADIOT sa mère,
sise sur le quai de cette cité." Elle avait quinze ans!
Rappelons que Victor HUGUES a repris Pointe-à-Pitre
aux anglais début juillet 1794. Cette tragique histoire a
donc duré moins de quatre mois! La famille CADIOT émigre
alors, tant les parents que le fils et le gendre CONSTANT,
le seul qui n'était pas capitaine de navire. Les gendres
capitaines ont dû éviter de revenir en Guadeloupe...
(1) Livre offert par M. Michel Ruillier à Madame Voillaume
qui nous l'a aimablement communiqué.
(2) Sur la famille de LACROIX, voir la "Généalogie de la
famille RUILLIER" par H. Voillaume (GHC n° 17 page 147).
Page suivante
Retour au sommaire
Révision 26/08/2003