G.H.C. Bulletin 16 : Mai 1990 Page 136

CONTRAT DE VENTE D'HABITATION A SAINT-VINCENT EN 1738
B. et Ph. Rossignol

     Nous vous invitons à lire les contrats de  vente  qui
suivent (Colonies E 61)  en  pensant  aux  actes  notariés
d'achat ou de vente de propriétés  que  vous  avez  passés
vous-mêmes. Il doit y avoir quelques petites différences!
                          ******
     Nous soussignés savoir qui suit que moi Pierre DUCOS, 
habitant, et Pierre CAMUS convenons de ce qui suit que moi 
Pierre DUCOS vend  et  cède  une  habitation  et  terrain,
habitué et case qui pourront s'y trouver dessus,
le dit terrain commençant à un pied  de  médecinier  à  la
borne du sieur LIONNOIS, et de l'autre côté un pois doux à 
la lisière du sieur IMBERT,  le  pied  pris  à  la  Grande
rivière, égal à la  dite  borne  ci  expliquée  des   deux
côtés, à prendre la chasse en droiture dans le morne,
le tout ci-dessus pour le prix et somme de 250 livres  que
moi dit DUCOS confesse avoir reçu du dit CAMUS la somme de 
125 livres, et moi CAMUS  m'oblige  pour  les  autres  125
livres de faire une case au sieur DUCOS, faite et parfaite 
de 26 pieds de long sur 10 de  large,  et  moi  dit  DUCOS
m'oblige de lui fournir un baril de boeuf  pour  faire  la
dite case et une cuisine de 26 pieds de  long  sur  10  de
large.
Nous avons fait en double de bonne foi.  A  Layou  de  St-
Vincent ce 27 février 1735. Signé sur l'original DUCOS.
J'ai reçu le baril de boeuf mentionné en l'autre part. 
Fait à St-Vincent ce 19 octobre 1735, dont  quitte.  Signé
P. CAMUS à l'original.

Je confesse avoir été content du sr Pierre CAMUS pour  les
cases qu'il m'a faites dont je suis content.  A  Layou  de
St-Vincent ce 19 octobre 1735. Signé à l'original DUCOS.
                          ******
     L'an 1738 et le troisième jour du mois de juin;  nous
soussignés sommes convenus du  marché  et  présente  vente
comme il suit,  savoir  que  moi  Pierre  CAMUS,  habitant
demeurant à Layou de Saint-Vincent, ai ce jour  vendu  mon
habitation située à Layou, bornée 
d'un côté par l'habitaion du sieur IMBERT par un arbre  de 
pois doux,
d'autre côté le sieur JOLY par un pied de médecinier,
par bas et son pied, le courant de la Grande rivière,
par haut la chasse dans les  bois  pour  sa  hauteur  tant
qu'il pourra habituer du morne,
sur laquelle dite habitation il s'y trouve 
la case à demeurer de 32 pieds de long  sur  13  de  large
couverte et palissadée de roseaux, sur fourches  en  terre
de coeur de cipre, une cuisine et poulier de même  couver-
ture et fourches
une autre case,  bâtie au bord de la rivière,  de 22 pieds
de long sur 13 de large, couverte et palissadée de roseaux 
et fourches de gris gris,
également que le bois qui se trouve  propre  à  faire  une
case  à tabac de coeur de cipre et en l'état qu'elle  est, 
en outre le jardin qui se trouve de fait, sur lequel il  y
a 1.500 pieds de café ou environ, une bananière à  prendre
d'un côté à la case du bout de la rivière à venir  joindre
la borne du sieur IMBERT;
en outre un boeuf avec un taureau de 22 mois, deux vaches,
une pleine et l'autre à lait,  une  génisse  d'environ  11
mois, un cheval poil rouge âgé d'environ 25 mois.
Toutes les quelles dites choses sont  vendues  et  livrées
dès ce jour, à l'exception néanmoins d'une roselière entre 
la dite habitation et celle du sieur IMBERT que  moi  ven-
deur me réserve les roseaux et de les faire lever dans  le
courant du mois  de  juillet,  également  de  réserver  sa
demeure dans la  petite  case  d'en  bas  jusqu'à  parfait
paiement.
La dite vente faite  au  sieur  Thomas  ANTOYER,  habitant
demeurant à St-Pierre de la Martinique, pour et  moyennant
la somme de 2.400  livres  en  argent  effectif  et  ayant
cours, qui a été présentement payée en son billet à  ordre
de la dite somme.
Fait et arrêté le présent les dits jours et an que dessus.
Signé P. CAMUS, MERCIER, LEGOUAIS,  et  une  croix  marque
ordinaire du sieur ANTOYER.
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Commentaires : de 250 livres à 2.400 livres en trois  ans,
quelle plus-value!
Nous devons confesser par ailleurs que nous n'avons  aucun
élément pour situer les différentes personnes citées  dans
les deux actes.
Quant aux arbres, nous avons requis l'aide du  Père  LABAT
qui nous explique sur plusieurs pages  les  particularités
de chacun. Nous abrégeons  considérablement  et  renvoyons
pour plus de détails aux volumes I pages  188  (pois),  II
pages 143 à 146 (medicinier), IV pages 332-333 (cipre).    

  Le médecinier (ou medicinier) est fort commun  dans  les
îles; on s'en sert assez souvent pour faire des  lisières.
Il mesure de 12 à 15 pieds de haut et  5  à  6  pouces  de
diamètre. "Il sort de l'écorce et  du  bois  lorsqu'on  le
coupe, aussi bien que des feuilles,  un  suc  de  mauvaise
odeur, blanchâtre et épais comme du  lait,  qui  fait  une
tache fort vilaine sur le linge où  il  tombe,  qu'il  est
impossible d'effacer". La  feuille  est  grande,  épaisse,
d'un vert gai et luisant. La fleur vient en bouquets  d'un
blanc sale. Le fruit a la grosseur d'une noix dont  quatre
ou cinq suffisent pour purger très bien.
  Le cipre s'appelle bois de rose en Guadeloupe car "il  a
une agréable odeur de roses  qu'il  conserve  toujours  et
qu'il communique à tout ce qu'on referme dans les  coffres
et armoires qui en sont  faites.  Cet  arbre  vient  assez
ordinairement de la grandeur et  de  la  grosseur  de  nos
noyers."
  Quant aux pois,  le  père  Labat  nous  dit  qu'il  y  a
beaucoup d'espèces dont il parlera "quand l'occasion  s'en
présentera." Apparemment elle ne s'est pas  présentée,  ou
nous ne l'avons pas trouvée.  Heureusement,  J.  Petitjean
Roget  dans  sa  thèse  "La  société  d'habitation  à   la
Martinique" indique (page 255) que Claude d'ABBEVILLE  qui
a séjourné au Brésil au XVI° siècle décrit un arbre  "fort
grand, ayant la feuille assez semblable au  pommier  :  la
fleur en est jaune, il porte des cosses  fort  longues  et
étroites remplies de pois autour desquels  est  une  chair
fort blanche et très douce au goût". Et J. Petitjean Roget 
précise : "Ce légume existait aux Antilles  où  il  a  été
désigné sous le nom de pois doux." 
  Nous n'avons pas trouvé le gris gris.

     Précisons enfin qu'en dépit de l'idée que  pourraient
donner ces contrats de vente, Saint-Vincent n'a jamais été 
officiellement française, étant île  neutre  réservée  aux
Caraïbes. Cependant anglais et français tour à tour  cher-
chaient à s'y installer et des habitants de Martinique  et
Sainte-Lucie, îles  proches,  y  avaient  des  habitations
qu'ils se revendaient par actes  sous  seing  privé  comme
ceux-ci (Layou est au sud-ouest de l'île). Au XIX°  siècle
les anglais s'y implantent enfin, jusqu'en 1979  où  l'île
devient indépendante dans le cadre du Commonwealth.         



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Révision 26/08/2003