G.H.C. Bulletin 13 : Février 1990 Page 107

POLVEREL A SAINT DOMINGUE
Jacques Cauna

  Etienne de Polvérel est resté célèbre dans  les  annales
de l'histoire d'Haïti pour le rôle qu'il joua,  en  compa-
gnie de  Sonthonax  dans  l'affranchissement  général  des
esclaves de Saint Domingue.                                
  Né en 1738,  écuyer  de  vieille  noblesse  prouvée  sur
titres depuis 1540,  il  avait  obtenu  droit  de  cité  à
Bayonne et entrée aux Etats de Navarre dans l'ordre de  la
noblesse le 20 mars 1789 en reconnaissance de  ses  écrits
et plaidoiries pour la défense des libertés et  privilèges
de la Basse-Navarre (1). Il avait  été  auparavant  initié
dans la Franc-Maçonnerie à la loge "l'Amitié" de  Bordeaux
en 1771. Avant son départ pour Paris il était devenu  l'un
des principaux officiers de  "l'Harmonie  sous  Directoire
Ecossais" de Bordeaux (2) et syndic des Etats de  Navarre.
Dans la capitale il est avocat au parlement  et  collabore
en 1789 à deux périodiques: la "Gazette  Nationale  Etran-
gère" et le "Tableau des Révolutions du XVIII° siècle". En 
1790, il entre au Club des Jacobins  dont  il  devient  le
secrétaire et où il est l'un des promoteurs de l'exclusion 
des partisans des colons: les deux Lameth, Barnave, Duport 
et Goupil de Préfeln (3). En octobre de la même année,  il
est électeur du département de la Seine puis au  début  de
1791, accusateur public de 1er  arrondissement   avant  de
devenir menbre du Conseil Général de la Commune  de  Paris
en juin 1792, époque à laquelle il est  nommé  commissaire
civil en mission à Saint Domingue par Roland (décret de la 
Législative du 15 juin) à l'instigation de Brissot et  des
Girondins (4).                                             
  La commission civile, composée outre  Polvérel, de  Son-
thonax et Ailhaud (plus tard remplacé  par  le  secrétaire
Delpech), quitte la France  le  30  juin,  bien  avant  la
déchéance du Roi (10 août).  Elle  est  chargée  de  faire
appliquer le décret du 4 avril en  faveur  des  hommes  de
couleur et a reçu quasiment les pleins pouvoirs ainsi  que
l'appui d'une force armée de 6000 hommes. Les commissaires 
débarquent  au  Cap,  accompagnés  du  nouveau  Gouverneur
d'Esparbès, et des généraux  de  Montesquiou-Fezensac,  de
Lasalle et d'Hisnisdal le 18 septembre 1792.               
  A cette époque, la colonie est en proie à la plus grande 
détresse politique, morale et matérielle. Les esclaves  du
Nord sont en insurrection  depuis  un  an  et  les  luttes
intestines entre blancs,  puis  avec  les  mulâtres  n'ont
jamais cessé. Aux traces visibles  de  ces  affrontements,
plantations et villes incendiées (Port au Prince en novem- 
bre 1791) s'ajoute une  agitation  générale  des  esprits,
doublée de rancoeurs profondes, de mauvais   augure.  Très
vite, les commissaires déclarent dissoutes les  assemblées
coloniales uniquement composées de blancs et leur  substi-
tuent une commission mixte de douze menbres comprenant six 
hommes de couleur et de nouvelles municipalités. Ces  ini-
tiatives entraînent une réaction du clan des colons qui se 
traduit d'abord par le complot avorté d'Esparbès (destitué 
et rembarqué pour la France), la résistance armée de Borél 
à Port au Prince (réduite le 13 avril 1793), puis celle du 
nouveau Gouverneur, Galbaud, au Cap qui, après trois jours 
de combats acharnés (20-22 juin), se solde  par  une  vic-
toire à la Pyrrhus. Réduits à la dernière  extrémité,  (le
propre fils de Polvérel est prisonnier des  rebelles  mais
son père refuse noblement de céder au chantage)  les  com-
missaires doivent faire appel aux bandes d'esclaves  armés
en leur promettant la liberté.  La  ville  est  pillée  et
incendiée et plus de dix mille colons  fuient  la  colonie
sur les débris de l'escadre. Devant les menaces d'invasion 
étrangère  (anglaise  et  espagnole)  et  après   diverses
mesures ponctuelles, Sonthonax proclame au Cap Français la 
liberté générale des esclaves le 29 août 1793.
  Polvérel qui avait reçu en charge la partie  de  l'Ouest
étendra l'abolition de l'esclavage à cette province le  21
septembre, puis le 27 à celle du Sud,  après  la  mort  de
Delpech qui s'y opposait.
  Présenté comme un homme plus pondéré (et plus  âgé)  que
Sonthonax, farouche partisan de la légalité, il  eut  sou-
vent des dissensions avec son collègue mais finit  généra-
lement par se ranger à ses avis pour  éviter  de  nouveaux
troubles. Le coup d'éclat politique de  ce  dernier  priva
finalement la colonie de la mise en  oeuvre,  préparée  de
longue date, par Polvérel, de  mesures  à  la  fois  moins
brutales et plus avancées dans  le  sens  d'une  sorte  de
gestion des plantations par les anciens esclaves. Assortir 
la liberté à la copropriété communautaire des plantations, 
comme l'avait fait dans l'Ouest Polvérel  par  sa  procla-
mation du 27 août relative aux biens vacants  (deux  jours
avant celle, historique de Sonthonax) était vraisemblable- 
ment le seul moyen d'éviter la désertion des  travailleurs
qui ruina la future Haïti.
  Après la prise de Port au Prince par les  anglais,  (1er
juin 1794), les commissaires, rapprochés par  la  défaite,
se replièrent sur Jacmel, dans le Sud, pour y organiser la 
résistance. La corvette l'Espérance les y attendait,  por-
teuse d'un décret de mise  en  accusation  du  16  juillet
1793. Malgré la ratification de l'abolition  générale  par
la Convention le 4 février 1794 qui semblait  leur  donner
raison, ils se constituèrent prisonniers à bord  et  subi-
rent à Paris un long procès qui finit par tourner  à  leur
avantage. Polvérel, déjà atteint  d'une  maladie  aggravée
par les épreuves subies à Saint Domingue décéda durant les 
débats le 7 avril 1795 dans un total dénuement sans  avoir
obtenu cette ultime satisfaction. Son nom reste indissolu- 
blement lié à celui de Sonthonax dans la mesure historique 
que constitua la première abolition mondiale  de  l'escla-
vage colonial à Saint Domingue. Il  faudra  attendre  1848
pour que cette mesure  soit  définitivement  acquise  pour
toutes les colonies françaises.
NOTES
(1) H. Lamant : Armorial de Bayonne, Pays Basque  et  Sud-
Gascogne, I, 321. Polvérel porte "écartelé au 1  et  4  de
gueules à 3 cotices d'or; aux 2 et 3 d'azur à  2  poissons
d'argent posés en fasce" alias "écartelé aux 1 et 4 d'or à 
3 cotices de gueules, aux 2 et 3  à  2  poissons  d'argent
posés en fasce et une montagne d'or mouvant de la pointe." 
cf aussi : A.D.Pyrénées Atlantiques, C.1539 f°100;  C.1540
f°5, 89 et 176.
(2) Le Bihan : "La Franc-Maçonnerie à Saint  Domingue"  in
Annales Historiques de la Révolution Française, Avril-Juin 
1974, p. 43
(3) Gabriel Debien : "Les colons de Saint Domingue  et  la
Révolution. Essai sur le Club Massiac" : p.239, 367.   
(4) F. Thésée : "Les Assemblées paroissiales des Cayes" in 
Revue de la Société Haïtienne d'Histoire, n°137, Déc.1982, 
p.203.                                                     



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