G.H.C. Bulletin 8 : Septembre 1989 Page 59

La veuve et le chevalier
Une affaire criminelle à St Pierre de la Martinique
en 1750

B. et Ph. Rossignol

     Il était une fois une riche veuve, plus toute  jeune,
qui fut demandée en mariage par un fringant capitaine. Que 
croyez-vous qu'il arriva ? Pas un enfant en tous cas.
     Anne Christine NéRON, née vers 1695, était  la  soeur
de Pierre, époux de Dieudonnée CLASS VAN SCHALKWYCK, et la 
fille de Pierre et Anne CHARROPPIN. Son  grand-père  était
François NéRON, capitaine de milice, premier commandant de 
la Grande-Terre, et sa grand-mère Christine  LEMERCIER  de
BEAUSOLEIL, toutes familles fort notables  de  Sainte-Anne
de la Guadeloupe. En premières noces, Anne Christine épou- 
sa Messire Jean COLLET, écuyer, sieur de LéCUSSON,  lequel
avait une dizaine d'années de plus qu'elle et  fut  inhumé
en l'église de Sainte-Anne, sous son banc placé du côté de 
l'épître, le 6 août 1745. Il était âgé de 61 à 62  ans  et
"avait donné jusqu'au dernier moment de sa vie toutes  les
marques  d'un  véritable  chrétien".  Ilnelui  laissa  pas
d'enfant.
     Quatre ans plus tard, la riche veuve, âgée de plus de 
50 ans, fut séduite par un capitaine aide-major  du  régi-
ment Royal Roussillon, nommé le chevalier DAMONT. Prénommé 
Charles Victor il est dit originaire de Clermont en Auver- 
gne (Saint Genest), fils de feu  Messire  Antoine  DAMONT,
major du même régiment et de  dame  Thérèse  BONNEFOND  de
CONDAMINE, lors du mariage à Sainte-Anne le  17  septembre
1749, après que le fiancé ait obtenu l'autorisation de  M.
de RANCHé, intendant du Fort St-Pierre de la Martinique.  
     Le dit M. de RANCHé semble avoir oublié que c'est lui 
qui a signé l'autorisation de mariage quand  il  écrit  au
ministre moins d'un an après, le 24 juin  1750,  pour  lui
envoyer une procédure criminelle "contre  un  jeune  homme
venu depuis quelques mois en ce pays ci  sous  le  nom  de
Chevalier DAMON et se disant officier réformé. Il avait je 
pense des lettres de recommandation sur  lesquelles  il  a
passé à la Grande-Terre de la Guadeloupe et y  a  fait  un
mariage assez avantageux avec une vieille veuve dont il  a
vendu le bien, se proposant bientôt de  passer  en  France
l'un et l'autre. En attendant que tous les  termes  de  la
vente fussent échus, il était venu demeurer avec sa  femme
à St Pierre où il s'est livré avec une  espèce  de  fureur
aux plaisirs du bal et du jeu. Il y a trouvé l'occasion de 
se  faire  la  mauvaise  affaire pour laquelle  il  a  été
condamné par contumace  aux  galères  perpétuelles.  Il  a
disparu dans  le  moment  et  j'ai  appris  qu'il  s'était
embarqué pour France."
     La "mauvaise affaire" eut  lieu  le  3  février  1750
(moins de cinq mois après le mariage) à 6 heures du matin: 
le chevalier DAMON entra dans la  chambre  haute  qu'occu-
pait, chez le sieur DAUBERMINY,  le sieur DURAND de  BLON-
ZAC qui dormait dans son hamac et, pour  un  motif  ignoré
des témoins, il le frappa du plat de l'épée nue au  visage
et au cou puis le blessa de deux coups d'épée au jarret en 
l'accusant de ne pas vouloir se battre. Peut-être  Jacques
DURAND  de  BLONZAC  doutait-il  de  la  noblesse  de  son
adversaire; lui enregistrera ses titres de noblesse  à  la
Guadeloupe le 6 mai 1752. Il était originaire de Bordeaux. 
     Les cris de la demoiselle DAUBERMINY attirèrent  plu-
sieurs personnes et DAMON s'enfuit. Quand on alla  perqui-
sitionner plus tard chez la dame veuve LAMY où  il  demeu-
rait, on apprit qu'il possédait pour  tout  bien  quelques
malles qu'il avait emportées en s'enfuyant le jour même.
     L'information  détaillée  fait  apparaître  plusieurs
pierrotins dont on précise qu'ils sont  tous  catholiques.
Les registres de Saint-Pierre ne commençant que treize ans 
plus tard, nous en donnons la liste  :  Charles  CHARTRAN,
cuisinier,  né  à  Carcassonne,  28  ans;  Pierre   Joseph
LEVESQUE, maître perruquier, né à Paris, 36 ans; Madelaine 
LATTIER, femme du sr  LEVESQUE,  créole,  28  ans;  Honoré
AGARAT, maître fondeur, né à St Maximin  en  Provence,  30
ans; François LOUMAGNE, chirurgien, né à Gasasses en  Gas-
cogne (?), 41 ans; Jacques LARTIGUE, maître chirurgien, né 
à Francescas en Guyenne, 45 ans. A part un parisien,  tous
les hommes viennent du sud de la France !

     Du chevalier DAMON, on n'entendit plus parler. M.  de
RANCHé est très discret sur son épouse,  ne  donnant  même
pas son nom. Nous savons qu'Anne Christine, bien mal rema-
riée et fort marrie,  retourna dans sa famille  en  Guade-
loupe et mourut à Sainte-Anne, le 18 mai 1765, quinze  ans
après les faits, âgée d'environ 70 ans. Elle est  désignée
sous le nom de "Dame Anne Christine NéRON épouse  de  Mon-
sieur Charles Victor DAMON". Celui-ci avait-il donné signe 
de vie ? obtenu des lettres de grâce ? Nous l'ignorons. 

Sources : R.P. Sainte-Anne de la Guadeloupe;
          Dossier "d'AMON" Colonies E 4 
          Borel d'Hauterive "Dictionnaire de la  noblesse"
          1874.                                            



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