G.H.C. Bulletin 4 : Avril 1989 Page 29

Pour ou contre la ferme des douanes?
A. Vendryes

     On trouve dans la  série  colonies  C7A  de  nombreux
documents relatifs aux Douanes de la Guadeloupe,  qui  fu-
rent affermées à  plusieurs  reprises  et  suscitèrent  de
nombreuses polémiques.
 
     Elles furent en effet un moyen d'enrichissement  très
sûr pour des individus dont la  bonne  marche  du  service
public n'était pas la principale motivation, et qui eurent 
l'honneur de voir l'Empereur lui-même, depuis le  camp  de
Boulogne, reconnaïtre leur  sens  des  affaires  (sous  le
terme d'habile cupidité...).

     Nous publions ici  des  extraits  de  trois  articles
issus de cette série.

     1. Pour : le contre-amiral LACROSSE

     R. LACROSSE, contre-amiral, capitaine général  de  la
Guadeloupe et dépendances, au Ministre de la Marine et des 
Colonies, 24 fructidor an X (11 9 1802, Colonies C7A 56):

     "A mon arrivée dans la Colonie j'ai trouvé cet  objet
important des revenus publics livré à l'avidité des hommes 
de toutes les classes, l'immoralité s'était presque  natu-
ralisée dans cette partie de l'administration, et les lois 
les plus sévères, les  précautions  les  plus  rigoureuses
pour prévenir les fraudes, n'avaient servi qu'à  démontrer
leur inutilité: Nous avons  des  exemples  de  chargements
entiers  de  denrées  coloniales,  dont  tous  les  droits
avaient été frustrés. Les visiteurs étaient  assiégés  par
la cupidité, et ceux des négociants qui se disent les plus 
honnêtes avaient toujours  réussi  à  corrompre  tous  les
esprits et tous les caractères sur la probité desquels mes 
prédécesseurs  avaient  le  plus  compté.  Les  choses  en
étaient parvenues au point qu'on regardait comme  légitime
et d'usage dans le public de séduire ou tromper les prépo- 
sés et que les places de visiteurs passaient pour être les 
meilleures qu'on peut donner à un individu  qu'on  voulait
faire courir rapidement à la fortune. J'ose même dire qu'à 
remonter à une époque  bien  reculée,  il  n'y  avait  pas
d'exemple d'une  déclaration  fidèle  du  véritable  char-
gement, ni d'aucun genre de punition que les  lois  déter-
minent. Il résultait de là que, pour un  modique  bénéfice
abandonné aux préposés, l'Etranger  soutirait  toutes  nos
denrées sans payer de droits. Dans de  pareilles  circons-
tances, j'ai cru qu'il fallait allier l'intérêt  public  à
l'intérêt particulier et je me  déterminai  à  adopter  un
bail à ferme à titre de régie intéressée..."

     2. Contre : l'Empereur
     
     Le Ministre de la Marine et des Colonies à  l'Inspec-
teur général de la Guadeloupe et dépendances, Boulogne, 28 
Thermidor an XIII (16 8 1805, Colonies C7A 64):

     "L'envoi, Monsieur, que m'a fait le préfet par  inté-
rim de la Guadeloupe (à la date seulement  du  16  floréal
dernier) des états d'importation et  d'exportation  de  la
colonie, pendant les années 11 et 12,  et  la  comparaison
que j'ai ordonné d'établir entre les droits d'entrée et de 
sortie, perçus, d'après les  arrêtés  de  l'administration
locale, pendant chacun de ces exercices, et le montant des 
baux des Douanes, aux époques correspondantes, m'ont mis à 
portée de me convaincre, par des calculs positifs, que  le
bénéfice du fermier, pendant l'an XII, n'avait pu être au-
dessous d'un million de francs, et par approximation,  que
celui des adjudicataires du bail de l'an XIII, ne  saurait
être évalué à moins de 600.000 francs.
     Sur le compte que j'en  ai  rendu  à  l'Empereur,  sa
majesté a décidé:
     1/ que le bail de l'an XIII  passé  pour  toutes  les
années de la guerre est et demeure résilié;
     2/  qu'il sera, par  l'administration  de  la  Guade-
loupe, compté de clerc à maïtre, tant avec le  fermier  de
l'an XII qu'avec les adjudicataires de l'an XIII;
    3/  que toutes les sommes perçues, tant par le premier 
que par les derniers, seront par eux restituées au  trésor
de la colonie sauf une indemnité de 8% qui leur est attri- 
buée pour leurs frais, peines et soins".

    On trouve plus loin, en post scriptum:
  "Sa majesté improuve que les Douanes soient mises à bail 
dans les colonies. Elle est persuadée que la  surveillance
des administrations est toujours, à cet égard,  déçue  par
l'habile cupidité des fermiers et la  preuve  s'en  trouve
dans les calculs qui font l'objet de cette dépêche...
     Il n'est point  étonnant  que  le  capitaine  général
arrivant dans une colonie, et peu préparé aux embûches  et
aux pièges des hommes avides, qui cherchent à  circonvenir
toute autorité, n'ait point aperçu, au premier abord,  les
torts d'une régie dans les Douanes..."

     3. Et le pot aux roses : ERNOUF

     MM. ERNOUF et KERVERSAU à son Excellence, Ministre de 
la Marine et des  Colonies,  Basse-Terre,  1er  juin  1806
(Colonies C7A 65):

  "La dépêche de votre Excellence du 28 Thermidor an  XIII
ne nous est parvenue que le 4 avril:  Monsieur  le  préfet
était alors en tournée à la Grande-Terre, il arriva ici le 
24 du même mois, et dès le premier mai, des ordres  furent
donnés pour l'exécution de ceux de votre Excellence.
     Le sieur MAURON, l'un  des  adjudicataires  des  deux
premiers baux, et le  sieur  MALESPINE  fermier  de  cette
année, résidents tous deux à la Basse-Terre, furent mandés 
chez l'Inspecteur qui leur  notifia  les  dispositions  du
gouvernement...
     Les  administrateurs  pouvaient-ils  prévoir  que  la
ferme des douanes deviendrait une véritable  compagnie  de
commerce dont les spéculations, les entreprises, les arme- 
ments doubleraient les produits?...
     Les fermiers et leurs associés ont armé 26  corsaires
et avaient des intérêts sur presque tous les autres...

     Il nous est impossible d'entrer dans  un  calcul  dé-
taillé des frais, des profits  et  des  pertes  de  chaque
armement, il nous serait plus  difficile  encore  de  leur
faire faire celui des importations et exportations  qu'ils
ont faites à leur propre compte, des  remises  qu'ils  ont
accordées, des avances qu'ils ont faites, etc... Ces  spé-
culations étrangères à notre surveillance  sont  cependant
tellement liées à l'opération  de  la  ferme  des  douanes
qu'il est impossible de  les  en  séparer,  puisque  cette
ferme en a été la base, le principe et l'objet...
     La douane sera replacée à commencer  du  1er  janvier
1807 sous la régie ordinaire...                            



Page suivante
Retour au sommaire
Lire un autre numéro



Révision 29/07/2003